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Histoire d'un futur :

Au fil d'une ligne de probabilité

Cosmologie et chronologie.
 
 
par Jérôme "PP" Charlet

 
 

La Soupe Primitive


          ... fait suite à : Introduction ...
 
          Imaginez maintenant... Le Big Bang vient d'avoir lieu. L'Univers naît... pourvu de 11 dimensions !... Enfin, potentiellement onze, car seules quatre d'entre elles vont advenir en acte, les autres ne restant en quelque sorte qu'en puissance. Partout dans le rien se répandent les quantons. Ceux-ci ne tardent pas à devenir matière et énergie. L'Univers est né, sous la forme de cette grande immensité, emplie à ras bord ... La Grande Soupe Primitive, selon l'expression consacrée de ce cher Temple sacré de l'Aube radieuse, détective privé millénariste frappé du Talent de transparence, personnage principal des Futurs Mystères de Paris, et qui est très intéressé par toutes ces choses-là...
 
          Et, comme dans toutes les soupes, il va se former des grumeaux... Et dans ce grand champ spatial, ces grumeaux auront pour nom étoiles, planètes ou corpuscules. Tout cela au milieu de ce champ diffus de particules qui forment ce que les physiciens appellent le rayonnement fossile, cet « ultime résidu du Big Bang ». Mais plus qu'un simple résidu, ce champ de particules forme le ciment de l'Univers tout entier. Il est le potage de cette Soupe. De son état dépend la cohésion de l'Univers. Et l'un des indices de cette cohésion est sa vibration. « La théorie de p-branes a montré que chaque particule élémentaire est analogue à une membrane élastique infinitésimale, possédant p dimensions, agitée de vibrations dont l'amplitude varie en fonction de la particule en question. » (Le Chant du cosmos) Cette vibration, qui constitue le chant du cosmos, est harmonique. Elle serait l'« Aum suprême ». Et les fausses notes y sont autant de symptômes de troubles et de faiblesses... Ainsi, selon la qualité du réseau des particules dans tel où tel coin de l'Univers, les vibrations sont plus ou moins mauvaises. Et de mauvaises vibrations stigmatisent un mauvais état de la trame du monde.
 
          Pour l'instant, de tous ces grumeaux, un seul occupe Roland Wagner dans la quasi-totalité du méta-roman, à savoir, bien entendu, notre cher soleil, et tout ce qui tourne autour... Car une fois notre étoile créée, et les planètes en orbites formées, il n'y a que sur la troisième planète que va apparaître la vie (chose que vous savez probablement déjà). Peu à peu, les espèces vont évoluer, jusqu'à donner naissance à des hommes en devenir. Et ces hommes en devenir vont voir leur cerveau se développer. Et leur cerveau, même à l'état primitif, aura la capacité, au tout début plutôt restreinte, de faire passer les quantons dans un troisième état, appelé psyché par Hiéronimus Bolgenstein, l'un de ses découvreurs. Cette capacité à agir sur les quantons semble résider dans le néocortex. Tout laisse à penser qu'il y a eu mutation, suite à une ou deux divisions supplémentaires des cellules cérébrales chez certains embryons d'un groupe restreint de ces proto-humains. Le résultat est un groupe d'individu, qui, pratiquant l'exogamie, va répandre les nouvelles caractéristiques. L'homo sapiens sapiens vient d'apparaître, ultime maillon de l'évolution humaine avant la Terreur.
 
          Ces quantons psychiques, il faut bien qu'ils aillent quelque part surtout qu'avec l'arrivée de l'homo sapiens sapiens, il va s'en générer un nombre de plus en plus important... Ne pouvant s'accumuler dans nos dimensions habituelles, dans notre Réalité consensuelle, Ils vont migrer vers trois dimensions orthogonales... « Le cerveau humain va apporter [à ces dimensions] les quantons qui [leur] manquaient pour exister. Pour cesser d'être un simple ensemble de probabilités mathématiques » (L'Odyssée de l'espèce) La Psychosphère est née, devenant ainsi l'ensemble des pensées humaines, partageant chaotiquement notre temporalité. « Le Temps [y] coule comme il peut - s'il coule »... L'Inconscient Collectif, vaste et sans organisation propre, sorte de Bol de Soupe psychique.
 
          Et ce Bol de Soupe connaît une histoire mouvementée. Privé de la cohésion que lui assurait l'inconscient de l'ensemble des proto-humains grégaires, la Psychosphère va devenir peu à peu, avec la diaspora humaine, un ensemble épars d'éléments en tous genres... La redécouverte de cette unité ne se fera que peu à peu, notamment par tous les types d'expériences mystiques possibles, pendant lesquels des individus vont découvrir leur appartenance à la grande Famille humaine. Vont découvrir que ce qu'ils appelaient alors leur âme particulière n'est finalement que cette goutte d'eau dans cet océan, l'âme cosmique. Toi, tu es Cela ! Tat tvam asi !
 
          Et c'est ici qu'on s'aperçoit que Roland Wagner, en faisant mine d'intégrer son bagage culturel à son œuvre, semble faire bien plus que cela... Bien sûr, sur les traces de la Beat Generation, imbibés de bouddhisme zen, de théories des Trancendentalistes Américains (Emerson, Whitman...) et de substances illicites, il paraît naturel de trouver dans la cosmologie wagnerienne les thématiques employées par ses prédécesseurs. Mais Roland Wagner va bien plus loin, puisqu'il va science-fictiver le tout, en fournissant une explication !... A la manière de Roger Zelazny face aux mythologies, ou de Richard Matheson face au thème du vampire, Roland Wagner va générer une tissu explicatif cohérent. Les théoriciens indiens affirmaient impossible l'explication (tout ce qu'on peut dire du brahman, c'est qu'il est neti neti : « pas ainsi, et pas ainsi »). Et alors, Roland Wagner est venu, et a dit : « psyché, p-branes et le tour est joué ». Et si la description des bodhisattva, ces individus qui ont atteint de leur vivant l'illumination, c'est-à-dire qui ont découvert que la goutte d'eau de leur âme fait part de l'Océan Psychique, ressemble tant à celle que Roland Wagner fait des Millénaristes, ce n'est pas vraiment un hasard... Et je ne serais pas étonné d'entendre sous peu parler d'un Purusha...
 
          Mais revenons à nos bébêtes... Cette création va également rétablir la deuxième dimension temporelle. Celle-ci était elle aussi encore à l'état de potentialité, et va acquérir soudain une réalité. Elle aussi orthogonale, elle semble devenir le cadre d'un nouveau Big Bang... Un Big Bang uchronique. Car Roland Wagner n'a pas oublié la leçon dickienne sur les Univers Parallèles qu'on peut lire dans Si vous trouvez ce monde mauvais, vous devriez en voir quelques autres : « Que se passerait-il (...) s'il existait une pluralité d'univers organisés le long d'un axe latéral, c'est-à-dire perpendiculairement au flux du temps linéaire ? » Et bien la réponse dicko-wagnérienne tient en un mot : uchronie.
 
          À partir d'un Univers originel, des divisions s'opéreraient, le fragmentant en une pluralité de mondes. Pourquoi n'apparaissent-ils que maintenant ?
 
          La forme que cette pluralité de mondes va prendre, c'est celle d'un arc-en-ciel, comme va le comprendre Elric, personnage d'Un Ange s'est pendu...
 
          « Tout d'abord, il vit un arc-en-ciel. Un arc en ciel circulaire, au centre duquel palpitait le violet, tandis qu'à la périphérie flamboyait le rouge. Hors de ce disque vivement coloré régnaient les ténèbres.
 
          Puis la vision changea — ou plutôt se précisa. L'arc-en-ciel n'était pas plat mais s'étirait également à la verticale — à travers ... le temps ? Elric n'aurait pu le jurer. Il avait l'impression de se rapprocher du Faisceau, qui n'était pas d'une seule pièce, mais constitué de fils à l'épaisseur infinitésimal, blottis les uns contre les autres, tendus entre le passé et l'avenir. Il distinguait à présent l'imperceptible dégradé différenciant chaque fil, la lente transformation du rouge en orange, de l'orange en jaune, jusqu'à l'ultime dérive de l'indigo vers le violet... »
 
          Notre Terre — enfin celle à partir de laquelle Elric et ses amis glissent d'univers uchroniques en univers uchroniques et qui doit être très proche de la nôtre — se situe dans le Vert médian. Plus les univers approchent du bord, et plus les mondes se font instables et violents. Plus ils prennent place près du centre, et plus ils sont brutaux et rudes. Ainsi, cette dimension temporelle supplémentaire, cette huitième dimension, serait rendue possible par les pensées issues du cerveau d'un sapiens sapiens. C'est la raison pour laquelle tout grumeau ayant en son sein des êtres pensants pourrait développer cette dimension, et par là même, entamer le processus de division uchronique. Ainsi, lorsqu'on lit, à la fin de L'Autoroute de l'aube : « anneaux multicolores qui sont autant de Faisceaux chromatiques / il y a d'autres Faisceaux — ailleurs / autant de Faisceaux qu'il y a d'univers dans un seul / les Ténèbres - point de contact entre ces multivers perdus dans une nuit sans fin », on ne peut en tirer qu'une seule conclusion : nous ne sommes pas seuls dans le Grand Tout !!! Nous ne sommes pas les seuls êtres pensants de l'Univers...
 
          ... la suite : Les Prémisses de la Terreur ...
 


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Texte reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.