Confortablement assis dans le siège multi-fonctions qu'il a
lui-même conçu et fait fabriquer par une firme de Francfort
spécialisée dans les fauteuils d'astronef, le dos dans une position
idéale, la nuque soutenue par un coussin réglable, les mains
effleurant les commandes incluses dans les accoudoirs et les pieds
posés sur un pédalier évoquant celui de certains orgues, mon hôte
dévorait du regard les dizaines d'écrans qui couvraient le mur en
face de lui, dans le vacarme produit par le mélange des sons
correspondant aux images affichées. N'importe qui— moi, par exemple
— aurait été submergé par une telle quantité d'informations. Gédéon,
lui, s'y retrouvait sans problème; je pouvais voir ses yeux sauter
d'un moniteur à l'autre avec une rapidité impressionnante, et je
savais que ses oreilles se comportaient d'une façon équivalente sur
le plan sonore, sélectionnant les pistes qui les intéressaient au
sein de l'intolérable brouhaha ambiant. Un long entraînement lui
avait procuré la capacité de zapper, non seulement parmi les données
que captaient ses organes des sens, mais aussi entre celles que
retransmettaient à son cerveau les divers appareils directement
connectés à celui-ci. Les électrodes collées sur son crâne rasé et
les fiches qui disparaissaient dans les douilles implantées derrière
ses oreilles décollées étaient autant d'entrées sensorielles
supplémentaires, par lesquelles il "voyait"et "entendait" aussi
nettement qu'à l'aide de ses rétines et de ses tympans.
Vous l'avez sans doute compris, Gédéon Geai est un maniaque de
l'information, un collectionneur de données - le roi des infoxiqués,
en fait.
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