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Extrait de roman :

TØØNS

Roland C. Wagner

(Fleuve Noir, avril 2000)

Nouvelle version du chapitre XII parue indépendamment dans Le Soir sous le titre :

Le Ciel au-dessus de Paris


          Snakefingers constituait la preuve vivante que la fréquentation de sectes dès le plus jeune âge n’a pas pour effet de développer l’intelligence. Certes, le grand garçon blond au phrasé hésitant ne pouvait être considéré comme un véritable handicapé, mais il était tout aussi difficile de voir en lui une personne " normale ". Parmi ses amis, ceux qui étaient de bonne foi disaient que le datura des Jim’s lui avait grillé un bon paquet de neurones et de connexions cérébrales, et ceux qui l’étaient un peu moins assuraient qu’il devait son état actuel d’engourdissement intellectuel à l’audition répétée de l’œuvre complète de Michael Jackson, du temps où ses parents appartenaient aux Adorateurs de celui-ci.
          Snakefingers, quant à lui, ne se posait même pas la question. Les différentes sectes par où il était passé en avaient fini par se confondre dans sa mémoire, et il n’aurait su dire si c’étaient les Contemplateurs du Firmament ou les Fornicateurs de Pan qui pratiquaient le moonwalk. D’ailleurs, en y réfléchissant bien, il avait oublié ce qu’était le moonwalk ; il se souvenait bien de gens aux cheveux frisottés qui marchaient à reculons en traînant bizarrement les pieds, mais cette image n’avait à l’évidence aucun sens.
          Il regarda autour de lui en se demandant ce qu’il faisait là, planté au milieu de cette place encombrée. Puis il reconnut l’endroit et la mémoire lui revint : Mlle Eileen lui avait demandé de la retrouver à dix-huit heures au Châtelet. Si elle lui avait donné la raison de ce rendez-vous, il ne s’en souvenait pas, mais elle lui avait dit de louer un drone chez Rob le Rob avant de la rejoindre.
          Une impression désagréable l’envahit. Qu’avait-il fait du drone ? Était-il seulement allé le chercher ? Il baissa les yeux et découvrit avec soulagement le grand sac posé entre ses pieds. Un coup d’œil à l’intérieur lui montra la silhouette élégante du petit avion couleur d’azur qui reposait, les ailes repliées, sur quelques journaux froissés. Il avait toujours aimé les engins volants, mais il n’y avait que chez les J’aime-la-science qu’on l’avait laissé s’y intéresser, et ses parents étaient restés si peu de temps dans cette communauté qu’il n’avait même pas eu le temps de terminer sa première maquette — un biplan en plastique rouge de toute beauté, auquel il ne manquait plus que les autocollants et un coup de peinture pour paraître plus vrai que nature.
          Tandis qu’il refermait le sac, son regard tomba sur ses baskets, et il commença à se demander s’il ne s’était pas trompé lorsqu’il les avait enfilées. Que lui avait dit Eusèbe ? La courbure la plus accentuée devait-elle se trouver à l’intérieur, ou à l’extérieur ? Et, d’ailleurs, comment la reconnaître ?
          L’arrivée de Mlle Eileen mit fin à ce dilemme. Elle était vraiment très jolie dans son tailleur bleu pâle, avec ses cheveux bruns flottant sur ses épaules. Snakefingers était secrètement épris d’elle depuis la première fois où il l’avait vue, mais il ne l’aurait avoué pour rien au monde, car il n’était pas assez demeuré pour croire une seule seconde qu’une femme comme elle pouvait s’intéresser à un benêt comme lui. D’ailleurs, elle avait quelqu’un dans sa vie… Comment s’appelait-il, déjà ?
          — Tu as le drone ? demanda-t-elle.
          Snakefingers désigna le sac.
          — Il est là. Le même que la dernière fois.
          — Parfait. Allons-y.
          Elle l’entraîna vers la tour Saint-Jacques qui se dressait au milieu d’un square de l’autre côté de Sébastopol. Vivement éclairée par le soleil encore haut dans le ciel, la pierre blanche du monument rayonnait à tel point qu’il était difficile de la regarder sans se mettre à cligner des yeux pour limiter l’éblouissement.
          Snakefingers brûlait d’apprendre de quoi il retournait, mais Mlle Eileen ne paraissait pas décidée à le lui expliquer, et il n’osait pas lui poser la question de peur de se faire rembarrer. Il aurait également bien aimé savoir ce qu’il y avait dans l’inhabituel sac à dos rigide qu’elle portait.
          Quelques Glorieux Fainéants s’étaient installés sur une pelouse, en compagnie d’un couple de Marcheurs et d’une jeune fille rousse dépourvue de signe tribal apparent. Snakefingers lui adressa un sourire, qu’elle lui retourna, radieuse. Le bruit des véhicules qui passaient autour du square devint une délicieuse musique au rythme mouvant, suscitant une mélodie qu’il se mit instinctivement à fredonner. Il aimait plus que tout ces moments de pure magie où les vibrations de son esprit s’accordaient avec celles de la ville et des gens qui y vivaient ; peu lui importait d’être un tantinet attardé lorsque l’élan de la poésie naissait, spontané, des profondeurs de son âme.
          — Snake !
          La mélodie mourut sur ses lèvres tandis que la musique redevenait une cacophonie de bruits urbains. Il regarda autour de lui d’un air ahuri, découvrit Mlle Eileen qui le contemplait d’un air agacé, plantée devant la porte de la tour. Il se hâta de la rejoindre, non sans un dernier coup d’œil à la jolie rousse qui lui procura un sentiment de déception car elle avait cessé de le regarder.
          — Hé, vous avez la clef ? s’étonna-t-il en découvrant que la porte était ouverte.
          — Bien sûr. J’ai aussi un ordre de mission officiel du C.E.R.S. (1), signé de la propre main du docteur Greggan, et une autorisation pour faire voler un drone au-dessus du plafond réglementaire.
          — Parce qu’il y a un plafond ?
          — Oui, répondit la jeune femme en le poussant à l’intérieur. Commence à monter pendant que je boucle la porte pour qu’on ne vienne pas nous déranger.
          Un plafond au-dessus de Paris — incroyable !
songea Snakefingers en s’engageant dans l’escalier. Il doit être invisible, c’est pour ça qu’on ne le voit pas. Et percé de trous, puisque la pluie passe à travers.
          Ou alors, c’est un plafond à un seul sens : on peut le traverser de haut en bas, mais pas de bas en haut.
          C’est idiot. Il devrait fonctionner dans l’autre sens. Comme ça, si un avion ou un satellite tombait…
          Seulement, il arrêterait aussi la pluie.
          Je me demande vraiment à quoi il sert. À empêcher les drones de voler trop haut ? On ne poserait pas un plafond aussi grand juste pour ça…
          Et où sont les piliers ? Il doit y avoir des piliers ; ce truc-là ne peut pas flotter tout seul dans les airs, même soutenu par des ballons invisibles ; ça serait trop dangereux.

          
          L’escalier s’interrompait tout en haut de la tour. Le plancher suspendu trembla lorsque Snakefingers s’y engagea, l’incitant à adopter une démarche moins pesante. Mlle Eileen, quant à elle, ne paraissait pas très à son aise. Il fallut toutefois un moment à Snakefingers avant de songer qu’elle avait peut-être le vertige. Alors, seulement, il prit conscience du vide sous ses pieds. Ça faisait une sacrée hauteur. Nul doute qu’il ne resterait pas grand-chose d’eux si jamais ils venaient à dégringoler.
          Aussitôt évoquée, cette éventualité s’effaça de son esprit. Il n’était pas tombé une seule fois lorsqu’il suivait l’entraînement pour entrer dans la tribu des Monte-En-L’Air. Même si le plancher venait à céder sous son poids, il trouverait toujours une prise à laquelle s’accrocher.
          La mort était pour Snakefingers une idée floue, un concept qu’il n’était jamais parvenu à appréhender totalement, sans doute à cause de la diversité des enseignements — pour la plupart mal compris — qu’il avait reçus à ce sujet. La seule chose qui lui paraissait claire, c’était qu’il n’avait pas envie de se réincarner en cafard ou en yucca.
          — Snake, tu viens m’aider ?
          Mlle Eileen avait ouvert son sac, qui contenait un appareil électronique quelconque, avec la quantité réglementaire de boutons, molettes et écrans de contrôle à cristaux liquides. Quoique sans doute miniaturisé, il pesait son poids, et ils ne furent pas trop de deux pour le mettre en place, coincé sous l’un des volets du clocher, antennes et paraboles orientées vers le ciel. Puis ils préparèrent le drone, sans échanger plus de trois ou quatre répliques. Ce n’était pas la première fois que Snakefingers s’occupait d’un de ces engins, et ses gestes étaient pour une fois précis tandis qu’il en vérifiait les différents organes. Il ne comprenait pas au juste ce qu’il faisait, mais Eusèbe, qui en connaissait un rayon en matière d’électronique, lui avait assuré que tout se passerait bien s’il suivait ses conseils, et il ne mentait pas, apparemment. Le tout était de rester bien concentré, de ne pas se laisser distraire par la musique de la ville ou le parfum de Mlle Eileen.
          Pour une fois, ce n’était pas trop difficile. Il suffisait de se dire que le drone était un oiseau bleu échappé d’un conte, et de le traiter en conséquence. Snakefingers était peut-être du genre à oublier qu’il se trouvait sur une Ébylette ou qu’il tenait un verre plein à la main, mais il n’avait jamais fait le moindre mal à un être vivant, hormis quelques puces et punaises trop avides de son sang. Or les créatures des contes étaient pour lui aussi vivantes que les autres, même s’il n’en avait jamais eu la chance d’en rencontrer. Eusèbe avait beau l’en détromper, il demeurait persuadé que les forêts grouillaient la nuit de tout un petit peuple plus ou moins invisible. Et les traces de sabots non ferrés qu’il avait découvertes un matin en se promenant dans le bois de Meudon ne pouvaient bien évidemment appartenir qu’à une licorne égarée.
          Une fois le drone prêt, Snakefingers le monta sur la terrasse qui couronnait la tour. Dans un angle, une paire de jumelles payantes, souvenir du temps où ce lieu voyait défiler les touristes, rouillait sur son socle, mais il ne leur prêta qu’une attention distraite, subjugué qu’il était par la ville qui s’étendait autour de lui, nimbée d’une légère brume de chaleur.
          — Hé, vous avez vu ? Là, c’est le Panthéon ! Et, là la tour Montparnasse ! Et la tour Eiffel, avec derrière l’archéologie de…
          — L’arcologie, corrigea Mlle Eileen. L’archéologie est une science, l’arcologie une habitation collective.
          Snakefingers haussa les épaules. Il n’aimait pas qu’elle le prît en faute.
          — Ouais, je sais… (En quête d’un biais pour changer de conversation, il se décida à poser la question qui le turlupinait depuis l’arrivée de la jeune femme.) Qu’est-ce qu’on est venus faire ?
          — Officiellement, nous sommes ici pour effectuer des relevés météo pour le compte du Centre, et c’est ce qu’il te faudra répondre si l’on t’interroge à ce sujet.
          — Pourquoi m’interrogerait-on ?
          Mlle Eileen baissa les paupières d’un air mystérieux.
          — On ne sait jamais… Tu as bien compris ?
          Snakefingers acquiesça.
          — Ça ne me dit toujours pas ce qu’on va faire.
          La jeune femme hésita.
          — Je t’expliquerai ça quand le drone sera en vol. Il n’aura plus besoin de nous, à ce moment-là.
          Contenant son impatience, Snakefingers entreprit de déplier les ailes du bel oiseau de polymère bleu ciel. Puis il le posa délicatement en équilibre sur le parapet, le retenant par l’empennage. Long d’une quarantaine de centimètres, l’engin était propulsé par une turbine électrique qu’alimentait une micropile à combustible. Snakefingers ne connaissait le principe ni de l’une, ni de l’autre, mais il savait que leur association conférait à ce prodige de la technologie une autonomie de soixante heures de vol.
          La turbine se mit à zonzonner lorsque Mlle Eileen manipula la télécommande. Snakefingers sentit soudain le drone qui lui filait entre les doigts, et il n’eut que le temps de soulever l’appareil pour qu’il pût s’enlever sans râcler du ventre sur la pierre de la balustrade.
          — Bon, passons aux explications, dit sans enthousiasme la jeune femme. Tu te souviens de ce qu’est la Psychosphère ?
          — Le monde des rêves — j’ai bon ?
          Elle hocha la tête avec un sourire en coin.
          — Disons que ce que tu appelles le " monde des rêves " est une partie de la Psychosphère. Parce qu’elle ne contient pas seulement les rêves des êtres humains, mais aussi tout le reste, tout ce qui a pu, à un moment ou à un autre, passer dans l’esprit d’un homme ou d’une femme… Ce n’est pas trop compliqué pour toi ?
          — Bien sûr que non, mentit Snakefingers. Mais c’est un univers, c’est ça ?
          — C’est ça. Un univers développé dans d’autres dimensions que celles que nous percevons. (Elle leva un instant les yeux vers le drone qui montait en spirale, déjà presque invisible sur le fond bleu du ciel sans nuage.) Imagine une longueur, une largeur et une hauteur qui ne seraient pas les nôtres.
          Snakefingers ferma les yeux, mais aucune image ne naquit dans son esprit. Trois dimensions, c’étaient toujours trois dimensions. Il ne voyait aucune différence, mis à part le fait que celles de la Psychosphère étaient situées ailleurs.
          — J’imagine pas, dit-il au bout de quelques secondes.
          — Ça ne m’étonne pas, soupira Mlle Eileen. Bon, tu n’as qu’à voir ça comme un autre univers, qui échange sans cesse de l’information avec le nôtre.
          — De l’information ?
          — Si quelqu’un imagine quelque chose, ce quelque chose va se retrouver, sous une forme ou sous une autre, dans la Psychosphère — dont les structures influent sur les êtres humains. Elle est une matérialisation de l’inconscient collectif, mais je crains que ça ne t’aide pas à comprendre.
          — Vous voulez dire que tout ce qui est… ou a été… dans la tête des gens se retrouve dans la Psychosphère ?
          — Exactement, approuva Mlle Eileen avec un sourire.
          Snakefingers savait bien qu’Eusèbe se trompait, et que des créatures aussi connues que les gnomes ou les chevaux ailés devaient bien exister quelque part. Sinon, pourquoi en aurait-on tant parlé, et tant écrit ou filmé à leur sujet ?
          Bon, d’accord, ils n’existaient pas avant que les gens ne les imaginent, mais à partir de ce moment-là, ils étaient devenus aussi réels que la vie, l’Univers et le reste…
          — Mis à part cette circulation d’information, la Psychosphère ne communique pas vraiment avec notre monde, reprit Mlle Eileen d’un ton de maîtresse d’école. Il n’existe que quelques points de passage — et l’un d’eux se trouve au-dessus de nos têtes, à sept cent trente mètres d’altitude.
          — Comment savez-vous ça ? s’étonna Snakefingers.
          — On m’a parlé d’une émission de particules anormales.
          — Ces trucs plus petits que les atomes ?
          — Oui. On ignore quand ça a commencé, mais c’était déjà là le mois dernier, lorsque le premier détecteur capable de distinguer ce type de particules non conformes a été mis en service. Au début, personne ne savait de quoi il pouvait bien s’agir. Puis quelqu’un a eu l’idée d’employer le détecteur à Ivry, dans les sous-sols du temple des Copistes, où un autre point de passage doit toujours exister sous les décombres. Des particules identiques ont été observées là-bas… Tu me suis toujours ?
          Snakefingers acquiesça avec vigueur. Et, cette fois, il était sincère, même s’il n’avait pas la moindre idée de ce qu’était une particule — hormis que c’était vraiment très petit et que ça pouvait se comporter bizarrement.
          — Si cette issue existe, poursuivit Mlle Eileen, le drone la trouvera : son système de guidage est relié au détecteur subatomique que nous avons installé dans le clocher. Il la trouvera, et il l’emploiera pour passer dans la Psychosphère. Là, il effectuera des prélèvements avant de revenir le plus vite possible. (Elle leva à nouveau les yeux.) Je ne le vois plus.
          — Moi non plus, fit Snakefingers après l’avoir imitée. Mais comme il est bleu…
          À cet instant, il y eut comme une fluctuation au-dessus d’eux, analogue aux ondulations de la surface d’une mare où l’on vient de jeter un caillou. Une série de vagues concentriques se déploya dans le ciel, avant de disparaître aussi soudainement qu’elle était apparue.
          — Il est passé, souffla Mlle Eileen d’une voix blanche.
          Une vague déformation optique subsistait à la verticale de la tour, d’apparence si étrange que Snakefingers ne trouvait pas de mots pour la qualifier. Ce n’était pas la première fois qu’il se révélait incapable de décrire quelque chose, mais jamais il n’avait été confronté à un phénomène aussi fondamentalement indescriptible.
          Comme s’il y avait un nœud dans le ciel,
songea-t-il avec un frisson. Un nœud qui aurait quelques dimensions de trop.
          Hauteur, longueur, largeur… Et puis quoi d’autre ?

          La déformation s’enfla soudain en un immense mandala — qui employait, semblait-il, toutes les nuances de la couleur bleue. Ce spectacle fabuleux, visible à des dizaines de kilomètres à la ronde, ne dura que quelques secondes, mais Snakefingers en demeura ébahi.
          — Waow ! s’exclama-t-il. Je sais pas qui a… imaginé ce truc, mais c’est rudement beau !
          Mlle Eileen dit quelques mots auxquels il ne prêta pas attention. Le regard toujours tourné vers le ciel, dans l’attente du drone ou, peut-être, d’une nouvelle manifestation de magnificence céleste, il se laissait à nouveau emporter par le flot de ses rêves éveillés, au son de la musique urbaine qui renaissait des avenues et des carrefours. Il n’y avait rien de plus beau que ces harmonies, cette immense superposition de vibrations avec laquelle Snakefingers était à nouveau en phase.
          Il comprit confusément que le mandala en camaïeu de bleu était une image mentale de la ville, son reflet dans la Psychosphère soudain révélé par l’irruption du drone.
          — Il devrait être déjà revenu, marmonna Mlle Eileen à ses côtés. J’espère qu’il n’y a pas eu de problème de conversion…
          — Comment ça ? interrogea Snakefingers parmi les brumes encombrant son esprit.
          — La matière n’est pas la même dans la Psychosphère. L’énergie non plus, d’ailleurs. Là-bas, les choses, les gens, les principes ne cessent de changer d’apparence. Mais le drone, lui, est fait de notre matière, de notre énergie. Rien ne nous dit qu’il ne s’est pas désintégré en arrivant de l’autre côté.
          Alors, le mandala était peut-être le résultat de cette désintégration… Ça expliquerait sa couleur bleue, en tout cas.

          Il crut discerner un mouvement dans le ciel, non loin de l’endroit où s’était trouvé le nœud central du mandala. Il s’apprêtait à prévenir Mlle Eileen, lorsque la télécommande se mit à émettre une série de tonalités aiguës. Le drone annonçait son retour.
          La jeune femme poussa un soupir de soulagement.
          — Eh bien, voilà, dit-elle d’une voix enjouée. Mission terminée. Les chercheurs du C.E.R.S. vont être aux anges.
          Mais Snakefingers, qui n’avait pas baissé les yeux, savait déjà que tel ne serait sans doute pas le cas. Ce qu’il voyait était si incroyable — et en même temps si implacablement logique, si rassurant en un sens — qu’il en oublia de prévenir Mlle Eileen.
          Celle-ci était absorbée dans la consultation des données qui s’affichaient sur la bande de contrôle de la télécommande, et ce ne fut qu’au moment où il étendit ses ailes pour se poser en douceur sur le parapet qu’elle prit conscience de la présence de l’oiseau, du merveilleux oiseau bleu que l’on aurait pu croire tout droit sorti d’un conte de fées si ses flancs n’avaient été ornés d’une succession de chiffres correspondant à l’immatriculation du drone.

Le Loup Pendu, 25 novembre 1999.


          (1) Centre Européen de Recherches Scientifiques


© Roland C. Wagner. Tous droits réservés.
Texte reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.