CHAPITRE IV
La
nuit venait de tomber lorsque le colonel quitta le Pentagone, à
l’issue d’une réunion qui avait duré plus
de cinq heures. Au lieu de rentrer tout droit chez lui, il roula un
moment sans but dans Washington, cherchant à faire le vide
dans son esprit. Mais deux questions y revenaient sans cesse,
lancinantes. Quand le prochain attentat se produirait-il ? Et où
aurait-il lieu ? Sur le territoire des U.S.A., comme le
pensaient la plupart des membres de l’État-major des
armées ?
Les paroles d’un
général trois-étoiles présent à la
réunion lui revinrent en mémoire :
« Les
cibles n’ont pas été choisies au hasard. Il y a
un sens là-dedans. Et je compte sur vous pour le
trouver. Vous avez les pleins pouvoirs. »
Il
s’agissait sans doute de la mission la plus délicate
qu’on lui eût jamais confiée en vingt-cinq années
de carrière dans le renseignement militaire. Découvrir
la raison des incroyables attentats qui, à quatre reprises,
avaient stupéfié et terrifié la planète.
Ses supérieurs en avaient de bonnes !
Il
fallait qu’il en parle à une personne extérieure.
Seulement, toute l’affaire était bien entendu couverte
par le secret défense. Naguère, il aurait pu en
discuter avec son épouse, mais elle avait été
tuée l’année précédente dans un
accident de la circulation. Et il n’était pas question
de mettre l’un ou l’autre de ses enfants au courant de sa
soudaine promotion. Le colonel décida donc de se rendre en
banlieue nord, où il savait trouver une oreille attentive et
d’une discrétion à toute épreuve.
Il
gara la voiture devant un cottage qui se dressait au milieu d’un
jardinet laissé à l’abandon. Le pâté
de maisons était l’ultime vestige d’un village
absorbé par la métropole durant sa croissance : un
groupe de bâtisses anciennes, pour la plupart en bois, qui
avaient survécu par miracle jusqu’au XXIe
siècle. Là vivaient de vieilles personnes, quelques
artistes et deux ou trois couples d’étudiants fauchés.
Le calme de l’endroit contrastait avec l’ambiance de
violence omniprésente régnant dans le reste de la
capitale et de ses faubourgs.
La
plaque sur la boîte à lettres annonçait :
Sri Korla Kula, mage, voyant, exorciste. Le colonel sourit en
repensant au gamin âgé de dix ans qui prétendait
communiquer avec les esprits. Nul ne voulait le croire, à
l’époque, et il s’était fait rosser à
plusieurs reprises par des sceptiques militants. Un grand de douze
ans l’avait même tabassé deux fois, la première
pour lui apprendre à prédire des « conneries »,
et la seconde parce que les « conneries » en
question s’étaient bel et bien réalisées.
Le
colonel toqua deux fois à la porte, puis entra sans attendre
d’y être invité dans l’immense hall qui
tenait lieu de pièce principale du rez-de-chaussée. Le
Sri était assis sur une chaise Renaissance à haut
dossier de facture italienne, vêtu d’une ample robe de
chambre bleu électrique et d’un turban crème orné
d’un faux saphir gros comme un œuf de caille. Les murs
blancs étaient couverts d’images pieuses hindoues et
d’icônes orthodoxes, de masques africains et de tableaux
aborigènes, des chandeliers à sept branches étaient
disposés çà et là, des tentures persanes
aux vives couleurs masquaient les ouvertures. Un décor de
bazar sans doute nécessaire pour mettre le client en
confiance.
— Que puis-je
pour vous, mon colonel ? s’enquit cérémonieusement
le Sri avec une petite courbette.
— M’indiquer
l’heure et le lieu du prochain attentat, répondit le
colonel pince-sans-rire en prenant place sur un divan.
— Je crains
que cela ne soit au-delà de mes modestes possibilités.
— Dans ce
cas, offre-moi une bière.
Le
Sri produisit deux boîtes de Bud. Il en avait toujours un pack
sous la table, bien caché par les plis de la lourde nappe
polonaise brodée de saints et d’angelots. Ils burent
quelques gorgées en silence, écoutant les bruits de la
ville qui leur parvenaient étouffés.
— Nous
n’avons aucune piste, dit soudain le colonel.
Le Sri lui adressa
un regard intrigué.
— Je croyais
que la Maison-Blanche détenait la preuve que les sorciers se
terraient dans des pays du Tiers-Monde.
— De
pures foutaises. Le mystère demeure entier. Mais tu ne liras
jamais un truc pareil dans les journaux. La planète entière
doit rester persuadée que nous allons coincer les terroristes
d’un jour à l’autre. (Il émit un soupir.)
Ce n’est pas de tes dons de voyance dont
j’ai besoin, mais de ton intelligence.
Le Sri se rengorgea
ostensiblement, un sourire sarcastique sur les lèvres.
— C’est
trop d’honneur…
— Je suis
sérieux. J’ai une idée, mais il me faut
impérativement l’avis d’une personne pas trop
stupide en qui j’ai toute confiance.
Le Sri opina.
— C’est
tout moi, ça. Je t’écoute.
— Le
premier attentat s’est produit au matin du 2 mai de l’année
dernière. À ce jour, nul n’a réussi à
trouver une explication satisfaisante pour le choix de cette date —
ni des autres, d’ailleurs. La tour de Londres s’est mise
à fondre six semaines plus tard,
quelques jours après le solstice. La transmutation de
Schönbrun a eu lieu dans la nuit du 11 au 12 octobre, ce qui
nous donne un écart de trois mois et demie. Et l’épisode
des statues baladeuses date de la mi-mars, soient cinq mois plus
tard. En toute bonne logique, on pourrait supposer que nous sommes
tranquilles pour un moment, peut-être jusqu’à la
fin de l’année.
— Tu en
doutes ?
— Si j’étais
à la place de ces fumiers, je frapperais avant l’été.
Bien avant.
— Mais tu
n’as rien de concret pour étayer cette idée.
— Qu’est-ce
que tu ferais, toi ?
Le Sri lissa d’un
air inspiré les quelques poils de barbe noire qui ornaient la
pointe de son menton.
— Pareil,
admit-il au bout de quelques secondes. Et je frapperais fort. Il
faudrait quelque chose d’aussi spectaculaire que la tour
Eiffel. Au moins. (Il hésita.) Ou alors, deux fois, coup sur
coup… simultanément ?
— On
verra ça plus tard, décréta le colonel. Bon,
ensuite, il y a la nature des attentats. Le premier met en jeu une
bestiole impossible et le symbole de Paris. Le deuxième
détruit celui de Londres. Le troisième transforme en
friandise géante un magnifique monument
historique, emblème du raffinement de je ne sais quel empire
oublié. Le quatrième ravage une capitale à
l’aide de golems de métal à l’effigie du
fondateur de la Chine communiste. Que mijotent-ils pour la prochaine
fois ? Faire pousser des ailes au Kremlin ? Animer le Taj
Mahal ?
— Transformer
le Golden Gate en serpent de mer ?
Le colonel riva son
regard à celui du Sri.
— Non,
justement. Je ne pense pas que le prochain attentat aura lieu sur le
territoire des États-Unis.
— Qu’est-ce
qui te fait dire ça ?
— Les
trois premiers ont pris pour cible l’Europe, et le quatrième
la Chine. Deux des civilisations les plus anciennes. Je ne dis pas
que nous n’avons pas de symboles valant la peine d’être
détruits, mais les terroristes ne s’y intéressent
visiblement pas.
— Pour
l’instant.
Le colonel secoua la
tête.
— Je
jurerais que ça va continuer. Tu vois, je crois qu’ils
nous ignorent volontairement. Qu’ils nous
dédaignent.
La mâchoire du Sri
descendit de quelques centimètres.
— Pourquoi donc ?
Le colonel ricana.
— Ça,
j’aimerais bien le savoir. Peut-être parce que nous
sommes les maîtres du monde. (Une idée traversa l’esprit
du colonel.) Cette suite d’actes terroristes peut très
bien constituer un message. Ça
expliquerait l’absence de revendication. Seulement, le message
n’est pas encore fini — et, lorsque nous pourrons le
déchiffrer, il sera sans doute trop tard.
— Paris, Londres,
Vienne, Pékin, énuméra le Sri. P.L.V.P. On
dirait un nom de guérilla marxiste.
— Ce
n’est sûrement pas aussi simple. La tour Eiffel s’est
envolée, celle de Londres a
fondu, Schönbrun a connu une transmutation et
Pékin a vu des statues s’animer.
— Et… ?
Le colonel tapa du poing
sur la table. Pas trop fort, juste pour exprimer sa colère si
longtemps refoulée.
— Et
rien ! gronda-t-il d’un air
mécontent. S’il y a une logique, elle demeure
insaisissable.
Ils continuèrent à
discuter, mais ils n’avaient pas progressé d’un
iota lorsque, dix minutes plus tard, le téléphone
portable du colonel se mit à vibrer. Il répondit
aussitôt avec un sourire d’excuse à l’intention
de son interlocuteur.
L’appel
émanait d’un lieutenant de la Brigade des Maléfices.
Cette unité forte de quelques milliers d’hommes
dispersés par petits groupes sur toute la planète avait
pour mission de détecter et capturer les magiciens éventuels.
Elle avait été fondée quelques jours après
le premier attentat, alors même que les premiers marines
débarquaient sur le territoire français. Son haut
commandement, qui n’avait de comptes à rendre qu’au
président en personne, se trouvait en Louisiane, dans une
ancienne base d’entraînement de la Navy.
— C’est le
secrétaire à la Défense qui m’a aiguillé
vers vous, mon colonel, annonça le lieutenant. Vous êtes
bien le nouvel officier responsable de l’enquête sur les
attentats ?
— En effet. Que se
passe-t-il ?
— Vous chapeautez
donc la Commission ?
— Entre autres,
oui.
— Nous avons des
ennuis avec une sor… une magicienne, mon colonel !
— Quel genre
d’ennuis ?
— Mieux vaut que
vous veniez vous en rendre compte par vous-même, mon colonel.
La ligne n’est pas assez sûre, ajouta-t-il dans un
souffle, fort dramatique dans le cliché.
— Très
bien, j’arrive tout de suite. Où se trouve votre
sorcière ?
Il
avait employé intentionnellement le terme tabou. Car c’étaient
les sorciers et sorcières qui vous causaient des ennuis. Les
magiciens et magiciennes, eux, étaient du bon côté.
Le lieutenant lui indiqua
un aéroport en Floride.
— Là-bas,
vous serez pris en charge. Mais soyez tranquille : nous l’avons
mise au secret dès que nous avons compris de quoi elle est
capable.
Le léger trémolo
de sa voix parut au colonel d’excellent augure. Il éteignit
son portable et le rangea dans sa poche. Puis il tourna un œil
ironique vers le Sri qui le dévisageait d’un air
inquisiteur et lui lança :
— Un petit tour en
Floride, ça te tente ?
Malgré
l’insistance du colonel, qui aurait préféré
plus de discrétion, le Sri avait tenu à voyager tout de
blanc vêtu et couvert d’autant de bijoux qu’un
prince hindou de pacotille, n’acceptant de renoncer qu’à
son turban pour éviter d’être confondu avec un
musulman. En route, le colonel se demanda ce qui lui avait pris
d’inviter le voyant à l’accompagner. Il avait agi
sur une impulsion subite ; ce n’était pas dans sa
nature. Ses supérieurs avaient d’ailleurs toujours
apprécié son côté réfléchi —
caractéristique qui lui avait sans doute valu d’être
choisi pour mener la chasse aux sorcières.
En tout état de
cause, le Sri pouvait se révéler fort utile en la
circonstance. Ses pouvoirs étaient tout aussi variés
qu’épisodiques, mais, s’ils daignaient se
réveiller au moment propice, il y avait de bonne chances que
cela simplifie les choses.
C’était
l’un des principaux problèmes avec la sorcellerie :
ça ne marchait pas toujours très bien. Il y avait même
de trop nombreux cas où ça ne marchait pas du tout.
Les imposteurs et mystificateurs étaient légion dans le
bazar du bizarre, et les véritables sorciers eux-mêmes
ne détenaient guère que des bribes d’un savoir
obscur à l’évidence très ancien. Nombre
d’entre eux étaient d’ailleurs de simples
guérisseurs mêlant une connaissance empirique non dénuée
d’efficacité à des pratiques magiques le plus
souvent sans le moindre résultat.
Un
avion les attendait à l’aéroport — un petit
appareil à réaction tout à fait anodin, avec un
équipage de trois militaires en civil. Si la présence
du Sri leur parut choquante ou déplacée, ils ne le
laissèrent paraître à aucun moment. De parfaits
automates.
En
Floride, ils furent accueillis par un sous-officier en tenue de
combat, qui tiqua ostensiblement à la vue du voyant. Il ne se
détendit même pas lorsque le colonel eut fait les
présentations, et ne lâcha pas un mot durant le trajet à
travers bois jusqu’à une base ultra-secrète
entourée d’une quadruple rangée de barbelés.
Le
lieutenant qui avait mandé le colonel se montra moins hostile,
même s’il était évident qu’il se
demandait s’il avait affaire à un véritable
spirite ou à un authentique charlatan. C’était un
homme encore jeune, avec des yeux sombres et un visage plat
trahissant un lointain ancêtre amérindien. Cela pouvait
expliquer sa méfiance à l’égard du Sri et
de son penjabi d’un blanc immaculé.
— Allons
dans mon bureau, proposa-t-il. Il faut que je vous décrive la
situation avant que vous ne la voyiez.
— Elle
est si terrible que ça ? s’enquit le Sri en imitant
son intonation.
Le lieutenant posa sur
lui un regard dénué de toute expression.
— Pour
tout vous dire, elle me flanque la
trouille.
— Intéressant,
commenta le voyant en hochant la tête d’un air pénétré.
Il
ne donnait pas l’impression de ressentir la moindre crainte.
Tout à fait typique de lui. À l’école,
déjà, il avait tenu tête aux professeurs et aux
élèves plus âgés qui le tarabustaient,
sans jamais trahir ses véritables sentiments. Et le colonel
lui-même n’aurait su dire ce qu’il éprouvait
en réalité. L’état émotionnel du
Sri était un secret bien gardé.
Outre
quelques classeurs métalliques et un vaste plan de travail en
polymère gris supportant un ordinateur et un téléphone,
le bureau, assez grand, était meublé d’un divan
de skaï brun, de plusieurs fauteuils assortis et d’une
table basse en acier formant un coin salon très moyennement
accueillant.
— Je vous offre
quelque chose ? proposa le lieutenant.
Le
colonel déclina l’invitation d’un geste et prit
place à une extrémité du sofa. Le Sri l’imita
aussitôt, après avoir fait non de la tête. Le
lieutenant resta un instant les bras ballants à les regarder,
puis il se laisser tomber dans un fauteuil d’un air las.
— La
journée a été dure, croyez-moi, déclara-t-il
d’une voix lente et grave. Et demain risque d’être
pire encore si nous ne trouvons pas un moyen de la neutraliser. (Il
leva la main droite et lui fit décrire un cercle horizontal
au-dessus de sa tête.) Nous l’avons
placée sous narcose, mais l’air lui-même continue
à être imprégné de sa magie.
— Que diriez-vous
de tout nous raconter en commençant par le début ?
fit le colonel.
— Ce
matin, j’ai reçu un appel qui m’annonçait
l’arrivée d’un sujet « sans doute
exceptionnel ». Une femme, que je devais aller accueillir
en personne à l’aéroport. On me conseillait de
prendre « toutes les précautions nécessaires »,
en raison de « manifestations
étranges ».
— Vous a-t-on dit
ce qu’on entendait par là ?
— Plus
ou moins. Il a été question d’un phénomène
ectoplasmique lors de sa capture. Une
silhouette féminine faite de lumière aurait survolé
le camp de base où elle était retenue prisonnière,
anesthésiée sous kétamine. Plusieurs G.I.’s
se seraient également mis à entendre des voix tout
juste audibles s’adressant à eux en une langue inconnue.
Et tout le beurre de cacahuète du camp se serait transformé
en fromage français !
» C’était
inquiétant, bien sûr, mais ce n’est qu’à
l’aéroport que j’ai commencé à avoir
peur. En voyant le Junker 52 se poser sur le tarmac.
— Junker 52 ?
répéta le Sri.
— Un appareil de
transport allemand de la Deuxième Guerre mondiale, expliqua le
colonel. Un trimoteur au fuselage en tôle ondulée, avec
une vitesse de pointe ridicule — pas plus de cent quarante
miles à l’heure. On n’en trouve plus que dans les
musées.
— Celui-là
était flambant neuf — et tout blanc, sans cocarde ni
immatriculation. L’équipage était choqué,
évidemment : l’appareil s’était
soudain transformé au beau milieu d’un orage dans le
golfe du Mexique. Ils venaient à peine de réussir à
en reprendre le contrôle, pour constater
que les instruments ne fonctionnaient pas, ou alors de travers,
lorsqu’une boule de feu était apparue devant eux. Elle
les avait guidés à travers la tempête, puis dans
un ciel dégagé, jusqu’aux côtes de Floride
au-dessus desquelles elle s’était évanouie sans
laisser de traces.
»
La Sorcière, elle, n’avait pas bougé de sa
civière. Le toubib qui l’accompagnait l’avait
maintenue inconsciente durant tout le trajet avec une perfusion de
kétamine. Il se demandait s’il ne fallait pas essayer
une autre classe de molécules ; je lui en ai donné
l’autorisation, et nous nous sommes dépêchés
de rallier la base. En chemin, un vol de chauve-souris a obscurci le
ciel, tandis que le corps de la Sorcière émettait une
faible luminescence, mais ce n’était somme toute pas
grand-chose, en y repensant.
» En
début de soirée, comme il ne s’était rien
produit de nouveau, nous avons décidé de la laisser
revenir à elle pour l’interroger. À peine
avait-elle ouvert les yeux qu’elle a jeté un sort à
ses gardes ; ils… se sont pissé dessus, mon
colonel. Elle leur a ordonné de la détacher en les
menaçant de bien pire, mais ils étaient tellement
paniqués qu’ils ont filé sans demander leur
reste. Mis au courant, j’ai envoyé un psychologue ;
elle l’a changé en cochon et il s’est mis à
fouiner du groin dans la poubelle. Elle a aussi pétrifié
deux hommes du commando que je lui ai expédié pour la
neutraliser, mais les abrutisseurs des autres ont eu raison d’elle.
Depuis, une forte dose de neuroleptiques la maintient dans une
inconscience totale.
— Vous n’auriez
jamais dû lui donner de kétamine, intervint le Sri. Les
anesthésiques dissociatifs favorisent la décorporation.
Pas étonnant que cette drogue renforce certains pouvoirs de
cette… sorcière.
Le lieutenant l’observa
un instant, intrigué.
— Vous avez de
l’expérience en la matière ?
Le voyant désigna
l’écran posé sur le bureau.
— Allumez
votre machine, connectez-vous sur le Net et faites une recherche sur
le terme enthéogène. Il y
a des pages et des pages de littérature à ce sujet, et
toutes n’ont pas été mises en ligne par des
cinglés.
Le lieutenant parut
désarçonné. Il décroisa les jambes, puis
les croisa dans l’autre sens. La lumière du néon
accentuait les méplats de son visage, faisant ressortir ses
traits amérindiens.
— C’est
plutôt une bonne nouvelle, finit-il par commenter. Si cette
drogue avive ses pouvoirs, cela signifie qu’ils sont moindres
lorsqu’elle n’en a pas pris,
non ? Donc, elle est moins dangereuse que nous le
pensions… (Il s’interrompit, cherchant visiblement ses
mots.) Que dois-je en faire, mon colonel ?
Il y eut un moment de
silence, puis la voix du colonel s’éleva, sèche
et rugueuse :
— Je vous
répondrai après l’avoir vue.
— Vous ne pourrez
pas l’interroger, puisque…
— Telle
n’est pas mon intention. (Le colonel désigna son
compagnon du menton.) Mon ami est un spirite. Un vrai, depuis son
enfance. Les formes prises par ses pouvoirs sont multiples, mais
c’est surtout un excellent récepteur… enfin,
quand il est en forme.
— Et,
coup de chance, je suis en forme,
annonça le Sri en se levant avec une subite vivacité.
Si nous allions enfin la voir, cette sorcière ? J’avoue
que j’ai hâte de découvrir à quoi elle
ressemble !
Aux yeux du lieutenant,
son enthousiasme devait paraître authentique, mais le colonel
ne fut pas dupe : le voyant n’était pas plus
rassuré que le lieutenant… ou que lui-même,
conclut-il avec résignation.
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