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Extrait de roman :

La Saison de la Sorcière

Roland C. Wagner

(© J'Ai Lu 2006)


couverture

CHAPITRE IV

La nuit venait de tomber lorsque le colonel quitta le Pentagone, à l’issue d’une réunion qui avait duré plus de cinq heures. Au lieu de rentrer tout droit chez lui, il roula un moment sans but dans Washington, cherchant à faire le vide dans son esprit. Mais deux questions y revenaient sans cesse, lancinantes. Quand le prochain attentat se produirait-il ? Et où aurait-il lieu ? Sur le territoire des U.S.A., comme le pensaient la plupart des membres de l’État-major des armées ?
Les paroles d’un général trois-étoiles présent à la réunion lui revinrent en mémoire :
« Les cibles n’ont pas été choisies au hasard. Il y a un sens là-dedans. Et je compte sur vous pour le trouver. Vous avez les pleins pouvoirs. »
Il s’agissait sans doute de la mission la plus délicate qu’on lui eût jamais confiée en vingt-cinq années de carrière dans le renseignement militaire. Découvrir la raison des incroyables attentats qui, à quatre reprises, avaient stupéfié et terrifié la planète. Ses supérieurs en avaient de bonnes !
Il fallait qu’il en parle à une personne extérieure. Seulement, toute l’affaire était bien entendu couverte par le secret défense. Naguère, il aurait pu en discuter avec son épouse, mais elle avait été tuée l’année précédente dans un accident de la circulation. Et il n’était pas question de mettre l’un ou l’autre de ses enfants au courant de sa soudaine promotion. Le colonel décida donc de se rendre en banlieue nord, où il savait trouver une oreille attentive et d’une discrétion à toute épreuve.
Il gara la voiture devant un cottage qui se dressait au milieu d’un jardinet laissé à l’abandon. Le pâté de maisons était l’ultime vestige d’un village absorbé par la métropole durant sa croissance : un groupe de bâtisses anciennes, pour la plupart en bois, qui avaient survécu par miracle jusqu’au XXIe siècle. Là vivaient de vieilles personnes, quelques artistes et deux ou trois couples d’étudiants fauchés. Le calme de l’endroit contrastait avec l’ambiance de violence omniprésente régnant dans le reste de la capitale et de ses faubourgs.
La plaque sur la boîte à lettres annonçait : Sri Korla Kula, mage, voyant, exorciste. Le colonel sourit en repensant au gamin âgé de dix ans qui prétendait communiquer avec les esprits. Nul ne voulait le croire, à l’époque, et il s’était fait rosser à plusieurs reprises par des sceptiques militants. Un grand de douze ans l’avait même tabassé deux fois, la première pour lui apprendre à prédire des « conneries », et la seconde parce que les « conneries » en question s’étaient bel et bien réalisées.
Le colonel toqua deux fois à la porte, puis entra sans attendre d’y être invité dans l’immense hall qui tenait lieu de pièce principale du rez-de-chaussée. Le Sri était assis sur une chaise Renaissance à haut dossier de facture italienne, vêtu d’une ample robe de chambre bleu électrique et d’un turban crème orné d’un faux saphir gros comme un œuf de caille. Les murs blancs étaient couverts d’images pieuses hindoues et d’icônes orthodoxes, de masques africains et de tableaux aborigènes, des chandeliers à sept branches étaient disposés çà et là, des tentures persanes aux vives couleurs masquaient les ouvertures. Un décor de bazar sans doute nécessaire pour mettre le client en confiance.
— Que puis-je pour vous, mon colonel ? s’enquit cérémonieusement le Sri avec une petite courbette.
— M’indiquer l’heure et le lieu du prochain attentat, répondit le colonel pince-sans-rire en prenant place sur un divan.
— Je crains que cela ne soit au-delà de mes modestes possibilités.
— Dans ce cas, offre-moi une bière.
Le Sri produisit deux boîtes de Bud. Il en avait toujours un pack sous la table, bien caché par les plis de la lourde nappe polonaise brodée de saints et d’angelots. Ils burent quelques gorgées en silence, écoutant les bruits de la ville qui leur parvenaient étouffés.
— Nous n’avons aucune piste, dit soudain le colonel.
Le Sri lui adressa un regard intrigué.
— Je croyais que la Maison-Blanche détenait la preuve que les sorciers se terraient dans des pays du Tiers-Monde.
— De pures foutaises. Le mystère demeure entier. Mais tu ne liras jamais un truc pareil dans les journaux. La planète entière doit rester persuadée que nous allons coincer les terroristes d’un jour à l’autre. (Il émit un soupir.) Ce n’est pas de tes dons de voyance dont j’ai besoin, mais de ton intelligence.
Le Sri se rengorgea ostensiblement, un sourire sarcastique sur les lèvres.
— C’est trop d’honneur…
— Je suis sérieux. J’ai une idée, mais il me faut impérativement l’avis d’une personne pas trop stupide en qui j’ai toute confiance.
Le Sri opina.
— C’est tout moi, ça. Je t’écoute.
— Le premier attentat s’est produit au matin du 2 mai de l’année dernière. À ce jour, nul n’a réussi à trouver une explication satisfaisante pour le choix de cette date — ni des autres, d’ailleurs. La tour de Londres s’est mise à fondre six semaines plus tard, quelques jours après le solstice. La transmutation de Schönbrun a eu lieu dans la nuit du 11 au 12 octobre, ce qui nous donne un écart de trois mois et demie. Et l’épisode des statues baladeuses date de la mi-mars, soient cinq mois plus tard. En toute bonne logique, on pourrait supposer que nous sommes tranquilles pour un moment, peut-être jusqu’à la fin de l’année.
— Tu en doutes ?
— Si j’étais à la place de ces fumiers, je frapperais avant l’été. Bien avant.
— Mais tu n’as rien de concret pour étayer cette idée.
— Qu’est-ce que tu ferais, toi ?
Le Sri lissa d’un air inspiré les quelques poils de barbe noire qui ornaient la pointe de son menton.
— Pareil, admit-il au bout de quelques secondes. Et je frapperais fort. Il faudrait quelque chose d’aussi spectaculaire que la tour Eiffel. Au moins. (Il hésita.) Ou alors, deux fois, coup sur coup… simultanément ?
— On verra ça plus tard, décréta le colonel. Bon, ensuite, il y a la nature des attentats. Le premier met en jeu une bestiole impossible et le symbole de Paris. Le deuxième détruit celui de Londres. Le troisième transforme en friandise géante un magnifique monument historique, emblème du raffinement de je ne sais quel empire oublié. Le quatrième ravage une capitale à l’aide de golems de métal à l’effigie du fondateur de la Chine communiste. Que mijotent-ils pour la prochaine fois ? Faire pousser des ailes au Kremlin ? Animer le Taj Mahal ?
— Transformer le Golden Gate en serpent de mer ?
Le colonel riva son regard à celui du Sri.
— Non, justement. Je ne pense pas que le prochain attentat aura lieu sur le territoire des États-Unis.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Les trois premiers ont pris pour cible l’Europe, et le quatrième la Chine. Deux des civilisations les plus anciennes. Je ne dis pas que nous n’avons pas de symboles valant la peine d’être détruits, mais les terroristes ne s’y intéressent visiblement pas.
— Pour l’instant.
Le colonel secoua la tête.
— Je jurerais que ça va continuer. Tu vois, je crois qu’ils nous ignorent volontairement. Qu’ils nous dédaignent.
La mâchoire du Sri descendit de quelques centimètres.
— Pourquoi donc ?
Le colonel ricana.
— Ça, j’aimerais bien le savoir. Peut-être parce que nous sommes les maîtres du monde. (Une idée traversa l’esprit du colonel.) Cette suite d’actes terroristes peut très bien constituer un message. Ça expliquerait l’absence de revendication. Seulement, le message n’est pas encore fini — et, lorsque nous pourrons le déchiffrer, il sera sans doute trop tard.
— Paris, Londres, Vienne, Pékin, énuméra le Sri. P.L.V.P. On dirait un nom de guérilla marxiste.
— Ce n’est sûrement pas aussi simple. La tour Eiffel s’est envolée, celle de Londres a fondu, Schönbrun a connu une transmutation et Pékin a vu des statues s’animer.
— Et… ?
Le colonel tapa du poing sur la table. Pas trop fort, juste pour exprimer sa colère si longtemps refoulée.
— Et rien ! gronda-t-il d’un air mécontent. S’il y a une logique, elle demeure insaisissable.
Ils continuèrent à discuter, mais ils n’avaient pas progressé d’un iota lorsque, dix minutes plus tard, le téléphone portable du colonel se mit à vibrer. Il répondit aussitôt avec un sourire d’excuse à l’intention de son interlocuteur.
L’appel émanait d’un lieutenant de la Brigade des Maléfices. Cette unité forte de quelques milliers d’hommes dispersés par petits groupes sur toute la planète avait pour mission de détecter et capturer les magiciens éventuels. Elle avait été fondée quelques jours après le premier attentat, alors même que les premiers marines débarquaient sur le territoire français. Son haut commandement, qui n’avait de comptes à rendre qu’au président en personne, se trouvait en Louisiane, dans une ancienne base d’entraînement de la Navy.
— C’est le secrétaire à la Défense qui m’a aiguillé vers vous, mon colonel, annonça le lieutenant. Vous êtes bien le nouvel officier responsable de l’enquête sur les attentats ?
— En effet. Que se passe-t-il ?
— Vous chapeautez donc la Commission ?
— Entre autres, oui.
— Nous avons des ennuis avec une sor… une magicienne, mon colonel !
— Quel genre d’ennuis ?
— Mieux vaut que vous veniez vous en rendre compte par vous-même, mon colonel. La ligne n’est pas assez sûre, ajouta-t-il dans un souffle, fort dramatique dans le cliché.
— Très bien, j’arrive tout de suite. Où se trouve votre sorcière ?
Il avait employé intentionnellement le terme tabou. Car c’étaient les sorciers et sorcières qui vous causaient des ennuis. Les magiciens et magiciennes, eux, étaient du bon côté.
Le lieutenant lui indiqua un aéroport en Floride.
— Là-bas, vous serez pris en charge. Mais soyez tranquille : nous l’avons mise au secret dès que nous avons compris de quoi elle est capable.
Le léger trémolo de sa voix parut au colonel d’excellent augure. Il éteignit son portable et le rangea dans sa poche. Puis il tourna un œil ironique vers le Sri qui le dévisageait d’un air inquisiteur et lui lança :
— Un petit tour en Floride, ça te tente ?

Malgré l’insistance du colonel, qui aurait préféré plus de discrétion, le Sri avait tenu à voyager tout de blanc vêtu et couvert d’autant de bijoux qu’un prince hindou de pacotille, n’acceptant de renoncer qu’à son turban pour éviter d’être confondu avec un musulman. En route, le colonel se demanda ce qui lui avait pris d’inviter le voyant à l’accompagner. Il avait agi sur une impulsion subite ; ce n’était pas dans sa nature. Ses supérieurs avaient d’ailleurs toujours apprécié son côté réfléchi — caractéristique qui lui avait sans doute valu d’être choisi pour mener la chasse aux sorcières.
En tout état de cause, le Sri pouvait se révéler fort utile en la circonstance. Ses pouvoirs étaient tout aussi variés qu’épisodiques, mais, s’ils daignaient se réveiller au moment propice, il y avait de bonne chances que cela simplifie les choses.
C’était l’un des principaux problèmes avec la sorcellerie : ça ne marchait pas toujours très bien. Il y avait même de trop nombreux cas où ça ne marchait pas du tout. Les imposteurs et mystificateurs étaient légion dans le bazar du bizarre, et les véritables sorciers eux-mêmes ne détenaient guère que des bribes d’un savoir obscur à l’évidence très ancien. Nombre d’entre eux étaient d’ailleurs de simples guérisseurs mêlant une connaissance empirique non dénuée d’efficacité à des pratiques magiques le plus souvent sans le moindre résultat.
Un avion les attendait à l’aéroport — un petit appareil à réaction tout à fait anodin, avec un équipage de trois militaires en civil. Si la présence du Sri leur parut choquante ou déplacée, ils ne le laissèrent paraître à aucun moment. De parfaits automates.
En Floride, ils furent accueillis par un sous-officier en tenue de combat, qui tiqua ostensiblement à la vue du voyant. Il ne se détendit même pas lorsque le colonel eut fait les présentations, et ne lâcha pas un mot durant le trajet à travers bois jusqu’à une base ultra-secrète entourée d’une quadruple rangée de barbelés.
Le lieutenant qui avait mandé le colonel se montra moins hostile, même s’il était évident qu’il se demandait s’il avait affaire à un véritable spirite ou à un authentique charlatan. C’était un homme encore jeune, avec des yeux sombres et un visage plat trahissant un lointain ancêtre amérindien. Cela pouvait expliquer sa méfiance à l’égard du Sri et de son penjabi d’un blanc immaculé.
— Allons dans mon bureau, proposa-t-il. Il faut que je vous décrive la situation avant que vous ne la voyiez.
Elle est si terrible que ça ? s’enquit le Sri en imitant son intonation.
Le lieutenant posa sur lui un regard dénué de toute expression.
— Pour tout vous dire, elle me flanque la trouille.
— Intéressant, commenta le voyant en hochant la tête d’un air pénétré.
Il ne donnait pas l’impression de ressentir la moindre crainte. Tout à fait typique de lui. À l’école, déjà, il avait tenu tête aux professeurs et aux élèves plus âgés qui le tarabustaient, sans jamais trahir ses véritables sentiments. Et le colonel lui-même n’aurait su dire ce qu’il éprouvait en réalité. L’état émotionnel du Sri était un secret bien gardé.
Outre quelques classeurs métalliques et un vaste plan de travail en polymère gris supportant un ordinateur et un téléphone, le bureau, assez grand, était meublé d’un divan de skaï brun, de plusieurs fauteuils assortis et d’une table basse en acier formant un coin salon très moyennement accueillant.
— Je vous offre quelque chose ? proposa le lieutenant.
Le colonel déclina l’invitation d’un geste et prit place à une extrémité du sofa. Le Sri l’imita aussitôt, après avoir fait non de la tête. Le lieutenant resta un instant les bras ballants à les regarder, puis il se laisser tomber dans un fauteuil d’un air las.
— La journée a été dure, croyez-moi, déclara-t-il d’une voix lente et grave. Et demain risque d’être pire encore si nous ne trouvons pas un moyen de la neutraliser. (Il leva la main droite et lui fit décrire un cercle horizontal au-dessus de sa tête.) Nous l’avons placée sous narcose, mais l’air lui-même continue à être imprégné de sa magie.
— Que diriez-vous de tout nous raconter en commençant par le début ? fit le colonel.
— Ce matin, j’ai reçu un appel qui m’annonçait l’arrivée d’un sujet « sans doute exceptionnel ». Une femme, que je devais aller accueillir en personne à l’aéroport. On me conseillait de prendre « toutes les précautions nécessaires », en raison de « manifestations étranges ».
— Vous a-t-on dit ce qu’on entendait par là ?
— Plus ou moins. Il a été question d’un phénomène ectoplasmique lors de sa capture. Une silhouette féminine faite de lumière aurait survolé le camp de base où elle était retenue prisonnière, anesthésiée sous kétamine. Plusieurs G.I.’s se seraient également mis à entendre des voix tout juste audibles s’adressant à eux en une langue inconnue. Et tout le beurre de cacahuète du camp se serait transformé en fromage français !
» C’était inquiétant, bien sûr, mais ce n’est qu’à l’aéroport que j’ai commencé à avoir peur. En voyant le Junker 52 se poser sur le tarmac.
— Junker 52 ? répéta le Sri.
— Un appareil de transport allemand de la Deuxième Guerre mondiale, expliqua le colonel. Un trimoteur au fuselage en tôle ondulée, avec une vitesse de pointe ridicule — pas plus de cent quarante miles à l’heure. On n’en trouve plus que dans les musées.
— Celui-là était flambant neuf — et tout blanc, sans cocarde ni immatriculation. L’équipage était choqué, évidemment : l’appareil s’était soudain transformé au beau milieu d’un orage dans le golfe du Mexique. Ils venaient à peine de réussir à en reprendre le contrôle, pour constater que les instruments ne fonctionnaient pas, ou alors de travers, lorsqu’une boule de feu était apparue devant eux. Elle les avait guidés à travers la tempête, puis dans un ciel dégagé, jusqu’aux côtes de Floride au-dessus desquelles elle s’était évanouie sans laisser de traces.
» La Sorcière, elle, n’avait pas bougé de sa civière. Le toubib qui l’accompagnait l’avait maintenue inconsciente durant tout le trajet avec une perfusion de kétamine. Il se demandait s’il ne fallait pas essayer une autre classe de molécules ; je lui en ai donné l’autorisation, et nous nous sommes dépêchés de rallier la base. En chemin, un vol de chauve-souris a obscurci le ciel, tandis que le corps de la Sorcière émettait une faible luminescence, mais ce n’était somme toute pas grand-chose, en y repensant.
» En début de soirée, comme il ne s’était rien produit de nouveau, nous avons décidé de la laisser revenir à elle pour l’interroger. À peine avait-elle ouvert les yeux qu’elle a jeté un sort à ses gardes ; ils… se sont pissé dessus, mon colonel. Elle leur a ordonné de la détacher en les menaçant de bien pire, mais ils étaient tellement paniqués qu’ils ont filé sans demander leur reste. Mis au courant, j’ai envoyé un psychologue ; elle l’a changé en cochon et il s’est mis à fouiner du groin dans la poubelle. Elle a aussi pétrifié deux hommes du commando que je lui ai expédié pour la neutraliser, mais les abrutisseurs des autres ont eu raison d’elle. Depuis, une forte dose de neuroleptiques la maintient dans une inconscience totale.
— Vous n’auriez jamais dû lui donner de kétamine, intervint le Sri. Les anesthésiques dissociatifs favorisent la décorporation. Pas étonnant que cette drogue renforce certains pouvoirs de cette… sorcière.
Le lieutenant l’observa un instant, intrigué.
— Vous avez de l’expérience en la matière ?
Le voyant désigna l’écran posé sur le bureau.
— Allumez votre machine, connectez-vous sur le Net et faites une recherche sur le terme enthéogène. Il y a des pages et des pages de littérature à ce sujet, et toutes n’ont pas été mises en ligne par des cinglés.
Le lieutenant parut désarçonné. Il décroisa les jambes, puis les croisa dans l’autre sens. La lumière du néon accentuait les méplats de son visage, faisant ressortir ses traits amérindiens.
— C’est plutôt une bonne nouvelle, finit-il par commenter. Si cette drogue avive ses pouvoirs, cela signifie qu’ils sont moindres lorsqu’elle n’en a pas pris, non ? Donc, elle est moins dangereuse que nous le pensions… (Il s’interrompit, cherchant visiblement ses mots.) Que dois-je en faire, mon colonel ?
Il y eut un moment de silence, puis la voix du colonel s’éleva, sèche et rugueuse :
— Je vous répondrai après l’avoir vue.
— Vous ne pourrez pas l’interroger, puisque…
— Telle n’est pas mon intention. (Le colonel désigna son compagnon du menton.) Mon ami est un spirite. Un vrai, depuis son enfance. Les formes prises par ses pouvoirs sont multiples, mais c’est surtout un excellent récepteur… enfin, quand il est en forme.
— Et, coup de chance, je suis en forme, annonça le Sri en se levant avec une subite vivacité. Si nous allions enfin la voir, cette sorcière ? J’avoue que j’ai hâte de découvrir à quoi elle ressemble !
Aux yeux du lieutenant, son enthousiasme devait paraître authentique, mais le colonel ne fut pas dupe : le voyant n’était pas plus rassuré que le lieutenant… ou que lui-même, conclut-il avec résignation.


Roland C. Wagner. Tous droits réservés.
Texte reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.