Toutes
les qualités humaines que Roland C. Wagner met dans ses romans, il les possède dans la réalité. Comme
son héros Temple Sacré de l'Aube Radieuse, il est gentil, ironique, généreux, ennemi de la colère
et de la violence. La société où il fait vivre son personnage est celle où lui, l'auteur, se trouverait
plus à l'aise. J'ai peu de doutes à ce propos.
En
ce sens, Roland est en quelque sorte l'héritier des hippies des années Soixante, dont il partage l'amour
pour la musique et pour le rêve. Cette attitude philosophique inspire aussi son style d'écriture, clair, élégant,
souvent subtil sous une apparence de simplicité, fluide sans jamais être banal.
Mais
attention : sous ce cadre idyllique se cache quelque chose de très inquiétant. Son nom est Psychosphère, et c'est
l'une des inventions plus géniales de la SF contemporaine.
C'est
quoi la Psychosphère ? On pourrait la faire coïncider avec l'inconscient collectif de Jung : un univers
psychique qui entoure - ou, pour mieux dire, qui vit avec - celui physique, et qui cache en son intérieur les archétypes
communs à chaque homme, bons ou mauvais qu'ils soient. Un univers, donc, entièrement créé par la
fantaisie humaine, où les idées sont des réalités et vivent leur vie, soit qu'il s'agisse de rêves, soit de cauchemars.
Il
y a peu de gens qui ont accès à ce monde caché. Temple Sacré sans doute, mais encore plus Roland Wagner. Aucun
des deux, en effet, ne traduit sa gentillesse naturelle en insouciance; et il est aisé de deviner que leur ironie si
paisible n'est pas un prolongement de leurs sentiments généreux, mais plutôt une manière de se
tenir en garde contre l'irruption, possible à tout instant, des fantasmes vivant dans la dimension secrète.
Ce
qui hante Temple est bien évident. Avant son monde si joli il y a eu les Années de la Terreur, toujours évoquées
mais jamais décrites à fond; et cette période terrible a sans doute peuplé la Psychosphère de
créatures redoutables et, hélas, immortelles. Mais quelle est la peur de Roland, qui visite l'imaginaire collectif
si souvent que son héros ?
J'ose
supposer que ce soit la simple constatation que le monde qui l'entoure n'est pas modelé sur ce que voudrait son
coeur, mais sur les archétypes obscurs dont il a eu la vision. Les mythes ancestraux du fer, du sang, du feu règlent
la vie quotidienne bien plus que les douceurs de l'utopie. D'ailleurs Roland est né dans un pays en proie à
une guerre sanglante, et il a dû l'abandonner encore enfant pour se trouver plongé dans la vie âpre des
banlieues. Avec, pour seule défense, sa capacité de rêver la beauté comme décor et la gentillesse
comme règle dans les relations humaines.
D'où
sa mission : donner à travers ses livres une idée précise de ce que pourrait être notre existence si on
résistait, à travers la raison, à la force infernale des archétypes plus sauvages.
Tâche
digne d'un philosophe. Heureusement pour nous, qui le lisons avec tant de bonheur, Roland ne l'est pas. Il est un sacré
écrivain et un vrai poète. Cela nous suffit.
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