Je suis né au milieu de la guerre.
Dans ma génération, on n'est pas si nombreux dans ce cas. Officiellement, les "événements" d'Algérie ne sont toujours pas une
"vraie" guerre, mais pour la population civile, peu importe que les explosions qui la réveillent toutes les nuits soient
celles de bombes tombées d'un avion ou de pains de plastic posés par le FLN ou l'OAS. Pour les militaires aussi, d'ailleurs.
Mon père a été soldat pendant vingt ans.
Né en Allemagne en 1922, il a subi durant son adolescence le véritable conditionnement imposé par les nazis, avant d'être enrôlé
dans la Luftwaffe à l'âge de dix-neuf ans. Plus tard, après avoir été fait prisonnier par les Alliés pendant la bataille
des Ardennes, il s'est retrouvé dans un camp de prisonniers, où un officier recruteur l'a convaincu de s'engager dans la
Légion étrangère avec des arguments dont je vous laisse juge - et dont j'espère qu'ils vous éclaireront sur les méthodes
employées par les armées pour se procurer de la chair à canon :
LA GUERRE D'ALGÉRIE
Le premier novembre 1954, un millier de partisans possédant en tout et pour tout quelques centaines de fusils déclenchent
une insurrection dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle avait tout pour tourner court. Mais la dureté de la répression,
qui paraît disproportionnée avec le recul du temps, l'immobilisme de la société coloniale, l'instabilité des gouvernements
de la IVe République - entre autres - en décident autrement. Tandis qu'un fossé sanglant se creuse entre les populations
musulmane et pied-noir, l'opinion publique métropolitaine, tout d'abord hostile à l'indépendance, change peu à peu d'avis.
À la signature des Accords d'Évian, en mars 1962, l'Algérie n'est plus qu'un fardeau dont de Gaulle
se débarrasse le plus vite possible. Cette décolonisation bâclée est sans doute à l'origine des problèmes que connaît
actuellement le pays. Merci, mon général.
|
|
"Comme tu es un gradé, tu es bon pour cinq ans de camp.
Et après, on te renverra chez toi... C'est où, chez toi ? Leipzig ? C'est chez les Russes, maintenant. Les communistes.
Tandis que, dans la Légion, tu verras du pays, tu auras des cigarettes, de l'alcool, des femmes..."
C'est comme ça qu'il s'est retrouvé à
fond de cale dans un bateau partant pour Saïgon. Et quand la France a piteusement évacué l'Indochine, il a échoué en Algérie,
où il a décidé de poser ses valises, de se marier et de se reproduire. Avec le recul, on peut se dire que ce n'était pas
exactement une bonne idée. Comme tant d'autres, mes parents sont partis en catastrophe au printemps 1962 ;
la situation en était arrivée à un tel point qu'il n'y avait de toute manière rien d'autre à faire.
Tout ça pour vous dire que l'ombre de
la Guerre avait tendance à flotter en permanence au-dessus de notre foyer. Nous étions traumatisés tous les trois - et,
d'une certaine manière, nous le sommes encore (1). Il est des traces qui ne s'effaceront jamais. Alors, ces dernières années,
quand je voyais des images de Beyrouth, de Bagdad ou de Sarajevo, ce n'était pas aux morts que je pensais, mais à ceux qui
survivraient, et qui porteraient toute leur vie le souvenir de ces conflits - de ces tirs, ces explosions, de la haine et de la peur.
Rappelez-vous bien ceci : les fascistes
de tout poil sont les seuls à qui la Guerre profite - parce qu'elle leur procure des masses de gens choqués, au sens critique
altéré, qui ne demandent qu'à gober leur propagande. La haine se nourrit de la haine.
Au début des années 70, lorsque
j'ai commencé à lire de la SF, c'était avec la défunte collection "Anticipation", où les guerres - spatiales ou non - pullulaient
littéralement. À l'époque, j'avais dû déjà lire une bonne centaine de bouquins de la collection «J'ai lu leur aventure»,
des trucs essentiellement sur la Deuxième Guerre mondiale. Aux duels aériens du
Grand Cirque ont succédé les affrontements
interstellaires de
L'Agonie de la Voie lactée.
Je veux dire par là que la forte proportion d'ouvrages belliqueux - sinon bellicistes - ne m'a pas choqué sur le moment.
Une fois dans les étoiles, l'Humanité continuerait simplement à se bastonner comme elle l'a toujours fait, éventuellement
avec des extraterrestres de préférence non-humains et bien répugnants. Tout ça me paraissait...
normal.
Dans l'ordre des choses.
Quand je pense que j'ai pu croire ça,
j'en ai des frissons. Un fasciste sommeille en chacun de nous. Soyons vigilants.
Cela dit, chacun traitait le thème à sa manière.
Pierre Barbet était le spécialiste des épopées napoléoniennes, où des conquérants magnifiques s'emparent de galaxies entières.
Une vision de la Guerre très abstraite et stylisée - celle des livres d'Histoire, où l'aspect humain est soigneusement gommé.
CITATIONS
"Dès que deux intelligences de nature différente sont confrontées, l'une doit anéantir l'autre, c'est la loi de la nature.
Une loi implacable qui condamne tous ceux qui ne la respectent pas."
(Peter Randa - La Brigade du grand sauvetage, p. 214.)
"En définitive, les gens comme Douglas M. Bullitt ont peur. Peur de l'inconnu. (...) L'idée que, quelque part, il puisse
exister des araignées géantes télépathes les frappe de terreur. Moi, au contraire, je me sens attiré. Je crois en une fraternité
cosmique qui éclatera un jour en pleine lumière, et ce jour-là marquera la fin des MacDewitt de tous les temps."
(Louis Thirion- Sterga la Noire, p. 38).
|
|
Dans la série allemande Perry Rhodan, elle aussi très riche en combats spatiaux démesurés, la Guerre était plutôt vécue
comme une fatalité - et tant la Milice des Mutants que L'Émir, le mulot-castor aux immenses pouvoirs parapsychiques,
constituaient des facteurs tendant à minimiser l'importance de la violence brute. Pour B.R. Bruss, la Guerre constituait
une absurdité, des livres comme L'Énigme des Phtas ou Les Centauriens sont fous en témoignent. Même son de cloche
chez Jean-Pierre Andrevon ou Louis Thirion. Enfin, last but not least, Peter Randa justifiait les horreurs de toutes les guerres
par la nécessité d'éliminer l'autre avant que ce ne soit lui qui vous élimine. Lire certains de ses livres en remplaçant mentalement
"non-humain" par "Arabe" est une expérience assez désagréable, devinez pourquoi...
Vingt-cinq ans plus tard, en écrivant
L'Odyssée de l'Espèce, dernier titre de cette collection, je me suis souvenu de tous ces livres qui exaltaient la Guerre et
la haine de l'autre, et je me suis dit que je devais faire quelque chose en souvenir du temps où je lisais ces horreurs
sans bondir à toutes les pages. Si l'on considère les deux mille deux titres de la collection comme un immense livre,
c'était donc à moi de conclure, de tirer la morale, la résultante de tout cela, de ces quelque quatre cent mille pages
de littérature populaire. Un redoutable privilège, mais aussi une lourde responsabilité. Alors, je n'ai pas résisté à la
tentation de rayer d'un trait de plume ces dizaines de millions de caractères consacrés à la magnification d'une violence aveugle
et stupide.
J'espère que j'ai bien fait.
(1) Mon père a cessé de l'être depuis la rédaction de ce texte, puisqu'il a disparu au début de l'année 2001.