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Article :

GÉNÉRATION CLASH
de G. Morris

Préface par Roland C. Wagner


Couverture


           J'ai connu G. Morris au début des années 80, à l'occasion d'une émission de radio intelligemment intitulée Vous avez dit Bigeard? (1) Je me souviens que nous étions très impatients de l'interviewer, car nous brûlions de savoir comment un vieux Forçat de l'Underwood (2) comme lui avait pu prendre avec autant d'aisance le virage de la SF. Sa "conversion", après je ne sais combien de romans policiers et d'espionnage avait quelque chose de miraculeux à nos yeux de jeunes fans, même si certains titres de sa fameuse série Vic Saint Val flirtaient déjà ouvertement avec le genre.

           D'autres auteurs maison, avant lui, s'y étaient cassé les dents et n'avaient fait que de brèves escales un tantinet forcées dans la collection Anticipation. G. Morris était l'égal de G.-J. Arnaud et de Christopher Stork, autres poids lourds du Fleuve Noir; tous trois avaient su négocier le virage avec aisance, chacun à sa manière. Arnaud entamait son immense cycle de la Compagnie des Glaces, Stork revisitait, non sans humour, les grands thèmes de la SF classique, et Morris multipliait des trilogies très différentes les unes des autres, variant le ton, l'ambiance, le propos, mais demeurant le plus souvent fidèle à une certaine thématique de critique sociale déjà présente dans ses premiers romans noirs.

           La première chose qui nous a marqués, lorsqu'il est arrivé à cette fameuse émission, a été sa gentillesse. Aux questions stupides que nous lui posions, il prenait soin de donner des réponses intelligentes. Il était aussi à l'écoute de ce que nous disions, et pas seulement par politesse. Il ne nous regardait pas du haut de ses quelques deux cents romans publiés, mais se plaçait à notre niveau. La barrière invisible dont nous avions pu sentir la présence avec d'autres invités n'existait pas avec lui.

           Tout ça pour vous dire que c'est un type épatant sur le plan humain et que je donnerais pas mal de choses pour être aussi modeste que lui. Et je ne le remercierai jamais assez de ses conseils éclairés, non plus que de l'enthousiasme avec lequel il a préfacé la toute première édition du Serpent d'angoisse. J'en rougis encore aujourd'hui.

           Je parlais tout-à-l'heure de critique sociale. Dans l'oeuvre de G. Morris, la présente trilogie en est sans doute l'un des sommets. Dès la citation d'ouverture, le ton est donné: on a affaire à une extrapolation du conflit des générations. D'emblée, le ton est dur, réaliste, servi par une narration à la première personne du présent, façon coup-de-poing saupoudré d'argot, futuriste ou non. Il est rare que Morris fasse preuve de mollesse, mais on est étonné de trouver une telle vigueur de la part d'un vieux routier de l'écriture. À tel point que cette pugnacité, cette volonté de dénoncer une situation et ses causes n'auraient sans doute pas déparé sous la plume d'un auteur de la vague "politique" des années70 - quoique la tendance au militantisme soit ici remplacée par une vision en un sens plus humaniste.

           Il y aurait aussi beaucoup à dire sur le rapport de force entre optimisme et pessimisme, qui me paraît assez différent, mais ce serait au risque de déflorer l'intrigue. Il est d'ailleurs fortement lié au fait que G. Morris est non seulement un authentique écrivain populaire, capable de pondre sept ou huit romans paran, mais aussi un digne héritier des feuilletonistes dont la technique sait être redoutable. Et, comme eux, il prête attention à son environnement pour y piocher de quoi nourrir les nombreuses pages que son rythme de travail le contraint d'écrire chaque jour ou presque.

           En relisant Génération Clash, j'ai été surpris par sa violence, qui ne m'avait pas marqué à l'époque. Une violence "physique",tout droit issue de la littérature de l'action dont Vic SaintVal était un célèbre représentant, mais aussi une violence verbale, une violence du langage lui-même, qui plonge ses racines à la fois dans l'école hard-boiled (3) - pour ses formes classiques - et dans des recettes d'inventivité linguistique propres à la SF pour la formation de néologismes. L'adéquation entre la forme et le fond est donc réalisée, et le tout s'inscrit dans la logique de l'évolution suivie par Anticipation au début des années 80. Car si l'on regarde le catalogue de la collection, on se rend compte que la part du space opera diminue et que celle des ouvrages d'inspiration hétéroclite se fait pour le moins congrue, tandis que se multiplient les oeuvres post-cataclysmiques ou situées dans un futur proche dystopique - avec dans ce dernier cas un traitement évoquant parfois le roman noir.

           Or les mondes post-cataclysmiques comme les villes du XXIe siècle peuvent passer, à quelques rares exceptions près, pour des univers violents par essence. Épousant ce changement de ton- dont il était d'ailleurs l'un des instigateurs involontaires, par son emploi de techniques issues du polar -, G. Morris a consacré l'entrée au Fleuve Noir d'une SF à court terme en prise sur le réel, et non fantasmée en fonction d'un passé mythifié.

           Par moment, Génération Clash "sonne" comme FiveTo One des Doors. Cela n'a rien d'étonnant: tous deux sont des enfants du Baby boom.

RCW


Notes :

(1) Elle passait sur Radio-Libertaire, où l'un de ses fondateurs, Yves Letort, anime Bienvenue chez les maîtres du monde, également consacrée à la SF.

(2) Titre de son autobiographie.

(3) G. Morris a été le premier à traduire Mickey Spillane en France.



© Roland C. Wagner. Tous droits réservés.
Texte reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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