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Extrait de roman :

KALI YUGA

Roland C. Wagner

(© L'Atalante, avril 2003)
 


couverture

          Puisque ma transparence n'était pas très active en ce moment, je pouvais me contenter d'une tenue discrète : caftan jaune d'or à col montant et pantalon blanc à pattes d'éléphant. J'étais sur le point d'enfiler des chaussures de sport translucides lorsque le réseau domotique m'a informé d'un appel urgent. Pieds nus, je suis retourné dans le salon, dispensant au passage une caresse distraite à Bastet perchée sur la bibliothèque du couloir.
          Je ne suis pas un garçon émotif et je n'aime guère manifester mes émotions, mais je n'ai pu retenir un grognement de surprise à la vue de la silhouette qui est apparue au-dessus du socle tridi. Il ne lui avait fallu qu'une fraction de seconde pour se superposer à une image archétypale profondément inscrite dans ma mémoire.
          Trapu, la mâchoire en avant, mon correspondant avait tout d'un homme de Neandertal, et ni le sobre costume trois-pièces de couleur gris anthracite visiblement taillé sur mesures, ni la paire de gants blancs qu'il tenait dans sa main droite, ni la paire de lunettes ovales juchée sur son nez ne parvenaient à dissiper cette impression. L'éclat hypnotique de ses yeux clairs lui-même ne pouvait me faire oublier une aussi troublante ressemblance avec notre cousin disparu depuis des dizaines millénaires.
          J'ai attendu qu'il parlât, mais il se contentait de rester là à me regarder avec une intensité qui me donnait presque la nausée. Comme si je le fascinais - ou s'il voulait me fasciner, difficile de trancher.
          Me souvenant subitement que les néandertaliens n'étaient pas censés être doués de la parole, je me suis décidé à prendre les devants, curieux de voir comment il allait réagir :
          - Bonjour. Agence de l'Aube radieuse. Que puis-je pour vous "monsieur" ?
          Il n'a pas cillé et l'éclat de ses yeux n'a pas varié d'un iota. Il paraissait sacrément concentré. Ou alors, il était sourd comme un pot. Je m'apprêtais à insister, lorsqu'une voix s'est élevée tout au fond de moi-même. Une de ces voix intérieures venues de l'extérieur qui vous glacent le sang car, soudain, vous ne savez plus si vous êtes en train de perdre la raison ou si un télépathe-émetteur malhabile essaye d'entrer en contact avec vous.
          - Kali Yuga... Kali Yuga...
          La voix mentale a encore répété une demi-douzaine de fois ces quatre syllabes avant de s'éteindre. Immobile au-dessus du socle tridi, les bras le long du corps. Le neandertalien ne me quittait pas des yeux, et de grosses gouttes de sueur dégoulinaient sur son front.
          Puis son image s'est effacée d'un coup sans qu'il eût remué ne fût-ce qu'un cil.

 
 


Roland C. Wagner. Tous droits réservés.
Texte reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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